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lundi 12 octobre 2015
amphithéâtre
18h

ciné-club - Manières de faire [Section Post-cinéma]
Sur une proposition d’Alejandra Riera, Giovana Zapperi

Là-bas

Chantal Akerman

Belgique, France, 2006, couleur, 1H18
Scénario, image : Chantal Akerman. Son : Robert Fenz Montage : Claire Atherton Producteur(s) : Xavier Carniaux, Marilyn Watelet

« Je ne m’adresse à personne en particulier, c’est-à-dire que je m’adresse à n’importe qui. » (1)

« Le grand plaisir de Là-bas, ce fut donc d’avoir pu le faire comme si je l’écrivais, de le filmer au lieu d’écrire, de changer de cadre à chaque fois, à tâtons, de dire ce qui vient comme ça vient, mais aussi simplement d’attendre, de suivre les habitudes de ces voisins que je ne connaîtrai jamais, de les suivre eux et pas un script, c’était là le plaisir recherché. Et pendant pas longtemps, peut-être une dizaine de jours. Mais ça a été un grand plaisir. Et d’abord de ne pas avoir à analyser quoi que ce soit. Oui, de prendre les choses comme elles viennent. Il est là le plaisir. Ce n’est pas de l’ordre de la souffrance. Ce n’est pas de l’ordre de la souffrance. Au contraire, c’est ce qui m’en délivre. Alors évidemment qu’il y en a de la souffrance. Il y en a toujours eu et c’est toujours la même. Depuis mon premier film, Saute ma ville (1968). […] Filmer a toujours été pour moi une sorte de conjuration de tout ça. Une sorte de santé. » (2)

« … c’est vrai aussi que si j’accueille le spectateur, je ne le ménage pas non plus. Je fais souvent, par exemple dans D’Est (1993), des plans très longs jusqu’à ce que le spectateur n’en puisse plus. Parce qu’on ne va tout de même pas faire semblant de comprendre trop vite : qu’est-ce qu’on y comprenait à la chute du Mur ? Qu’est-ce qu’on y comprenait à la frontière mexicaine [De l’autre côté (2002)] ? Qu’est-ce qu’on savait de ce que ressentaient les gens et de ce qu’ils voyaient ? On a plein de longs discours mais des images trop rapides. Alors je fais le contraire. Et c’est sûr que ça ne plaît pas toujours. » (3)

[1.2.3. Chantal Akerman, entretient Là-bas ou ailleurs, Vacarme n°39, avril 2007.]

Résumé du film : « Il s'agirait d'un bref séjour à Tel Aviv. De la relation de quelqu'un (moi) de la diaspora à Israël. Et si c'était encore une fois une terre d'exil. Et pourtant pas tout à fait. Et pourtant parfois pas du tout. Un film à la fois dans le monde et coupé du monde. Un film où apparaîtrait en filigrane et en pointillé le passé d'une famille juive (la mienne) et de ce que c'est mais à peine et juste suggéré, ce que c'est que de ne pas appartenir. Et l'illusion d'une possible appartenance. Peut-on s'enraciner dans un espace, un temps. Comment quelqu'un de la diaspora peut-il regarder, voir un pays tel qu'Israël. Comment est-il, elle lié(e) ou non à ce pays ? Qu'en perçoit-il ? Est-il même possible d'en percevoir quelque chose ? Et comment est-elle, comment vit-elle, cette personne née dans les années cinquante après la tourmente ? Y-a-t-il un quotidien possible ? Y a-t-il des images possibles ? Des images directes. Ou ces images doivent passer par un écran ? Quel écran, comment ? » (Chantal Akerman)

"Le souci du cadre dans les films de Chantal Akerman hypnotise depuis longtemps car il repousse le naturalisme. La photographie est le prolongement d'un film (Là-bas coproduit par Le Fresnoy), qui épargne de toute illusion quant à une possibilité de terre promise contemporaine. La trame des stores devant les fenêtres qui ouvrent sur Tel-Aviv repousse autrement le naturalisme. Cette trame contredit la transparence d'un regard qui s'illusionnerait sur un paradis autant que sur la neutralité fidèle de la représentation." (D.P.)

« Là-bas est un film sur le regard d'une femme coupée du monde, qui se nie, essaye de regarder Israël en face. L'exil, l'appartenance : Chantal Akerman s'interroge sur le sens d'une vie, l'existence d'un paradis possible après l'Holocauste. Elle évoque le suicide de la mère de l'écrivain israélien Amos Oz, et celui de sa tante Ruth. On se suicide donc partout…. (…) Là-bas est un film sur la résistance d'une femme à parler de la Shoah, sur son impossibilité de ne pas en parler (elle le fait par allusions), sur l'invitation faite au spectateur de l'écouter, et pour cela, de se mettre à sa place, quitte à laisser vagabonder sa propre pensée, projeter sa propre histoire.  La Bas est un film sur le cinéma, la proposition du partage d'une trace incommunicable, une tentative de transmission d'une blessure concrète via la contemplation d'une image abstraite. Du confinement, du fatalisme d'un existentiel carcéral, Chantal Akerman débouche sur une terre promise : celle de l'écran, de la possibilité de n'être pas seule à le regarder. » (Jean-Luc Douin)

« Le Là-Bas du titre est donc Israël. Mais ce que nous verrons du pays sera limité. (…) La grande majorité des plans que nous allons voir seront donc des vues prises par la fenêtre de l’appartement dans lequel elle réside, nous donnant à voir les immeubles voisins et leur population. (…) Il y a donc un genre de barrière entre le spectateur et Tel Aviv, un voile le séparant de la ville qui, par la longueur des plans et les lamelles des stores, devient presque abstraite, irréelle. Cette idée simple de mise en scène se révèle être particulièrement efficace tant il est vrai que la rencontre de la voix de la cinéaste et de ses images semble nous éloigner d’un monde que nous sommes incapables de cerner. Ce "dispositif" est déroutant et inquiétant à la fois. Nous sommes dans un cocon. Le monde extérieur est flou, énigmatique et lointain. Tout cela semble n’être qu’un rêve. La cinéaste rêve-t-elle d’Israël ou bien y est-elle vraiment ? Israël existe-t-il réellement ou est-ce un rêve, un mirage ? Quelle idée une femme de la diaspora se fait-elle d’Israël ? De quel Israël s’agit-il ? (…) L’expérience de Chantal Akerman est une expérience intellectuelle et humaine. Ce qu’elle dit, c’est : « Voici ce qui m’a traversé l’esprit durant cette période. » Car dans ce film il sera question des petits tracas du quotidien, du récit de ce que c’est que de vivre, tout simplement. Manger, dormir, sortir faire des courses, tout cela nous sera raconté, créant entre la cinéaste que nous ne verrons jamais à l’écran, si ce n’est de manière furtive, et nous un sentiment d’intimité d’une extrême beauté poétique. » (Florian Guignandon)


Ce lundi 5 octobre la cinéaste Chantal Akerman nous quitte, se donne la mort.
Ce premier ciné-club manières de faire souhaite vous inviter à se retrouver pour visionner un de ses films. Et ainsi re-entendre sa voix, ses questionnements et sensations face à son actualité à elle traversée d’Histoire.  On aura assez, peut-être trop dit que Chantal Akerman serait une cinéaste du « je », ou même du « repli sur soi-même », chez qui le film serait un espace d’accueil au récit de soi, la possibilité de se raconter, souvent grâce à la parole, par l’intermédiaire d’un texte écrit confronté à des images. Mais il serait aussi possible de dire qu’elle n’aura peut-être pas eu de cesse de tenter de livrer, d’adresser ces questionnements avec son point de vue subjectif à « n’importe qui » et de rendre acteur-actrice ce « nous d’inconnus » que nous sommes à l’intérieur d’une salle de cinéma comme dans les rues. Bien plus que sur soi-même, peut-être que cette cinéaste n’aura écrit et filmé au fond qu’à et pour ce nous de « peu importe qui » sur sa difficulté à elle (et celle de toute une époque —qui est encore la notre—), à transmettre ce que nous avons de plus difficile à dire, de plus important au final.
Peut-être qu’elle aura mis en scène tant des lettres pour établir une sorte de correspondance moins avec elle-même, qu’avec ce nous qui marche, qui se perd dans les rues de grandes villes.
Peut-être que son cinéma est ce genre, ou cette forme d’échange qui émerge dans une correspondance. Un genre-jeu inventé des correspondances épistolaires écrites à propos de ceux que nous connaissons très bien pour être lues devant ceux que nous ne connaissons pas. Une manière de rendre plus proche le lointain, et d’éloigner le trop proche peut-être. Une manière de nous situer dans un face à face, dans l’écoute active, dans l’analyse, car écouter des confidences demande un temps supplémentaire, un après-séance, ce temps où en sortant de la salle du cinéma (le divan du pauvre) on marche, et ce qui a été dit et entendu (bien plus que vu) retentit encore, entre en dialogue avec soi, avec son temps, et dans la tête devient pouvoir de répondre, de remettre en question, de se demander : et nous alors, que faisons-nous dans, avec tout ça ? Cela nous demande à notre tour de répondre, d’écrire. Avec sa disparition, elle signe un malaise. Une difficulté qui est surement aussi la nôtre à comprendre ce qui nous arrive.  (A.R.)


A lire :
Là-bas ou ailleurs, entretien avec Chantal Akerman du 20 avril 2007, Vaccarme n°39, Chantal Akerman. http://www.vacarme.org/article1288.html

 

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