Téhéran sans autorisation
en présence de la cinéaste Sepideh Farsi
La nouvelle "Nouvelle vague" du cinéma iranien
« Tout l’intérêt de ce film est qu’il n’offre pas une vision figée et monolithique de la réalité sociale et culturelle iranienne. Et ce d’autant plus que le miroir nous est tendu par une réalisatrice qui se décrit elle-même comme « à cheval entre deux cultures », iranienne et française. En cela,
« Téhéran sans autorisation » est révélateur d’une deuxième nouvelle vague du cinéma iranien, avec des réalisateurs de la diaspora qui portent sur leur pays un regard sinon neuf du moins plus distancié, et qui ne s’embarrassent pas des mêmes précautions que leurs congénères restés surplace. Un cinéma beaucoup plus réaliste et engagé là où le cinéma iranien est traditionnellement plus symbolique et minimaliste, quand il ne s’occupe pas de propagande sur les heures glorieuses de la guerre Iran-Irak. » (…) « Dans la forme comme dans le fond, « Téhéran sans autorisation » se révèle donc un véritable hymne à la diversité culturelle. » Emmanuel Leroueil
Voici la critique d’Arnaud Hée de ce film tourné quelques mois avant le coup de force des élections présidentielles de juin 2009 par Sepideh Farsi.
« Venons en au fait immédiatement : Téhéran sans autorisation a été filmé avec un téléphone portable. Sauf erreur, c’est aussi le premier film de ce type à sortir en salle. C’est en toute logique qu’il nous vienne d’Iran. Onsait combien l’explosion de la contestation qui a suivi la réélection-coup d’État de Mahmoud Ahmadinejad a eu une authentique dimension technologique : le flux de la contestation a été aussi un flux numérique (internet ettéléphonie étroitement mêlés). Des images du soulèvement et de la répression comme un miroir tendu à la facede la dictature, des millions de pixels lancés aussi comme une bouteille à la mer ainsi qu’une main tendue endirection de la société iranienne et du monde. Pour le pouvoir théocratique, la lutte contre les manifestations ne s’est pas fait qu’à coups de matraques de ses nervis, d’arrestations et de meurtres ; elle est aussi passée par le ralentissement du flux des images, par l’abaissement ou la coupure pure et simple des débits. Le fait de filmer avec un téléphone soulève deux questions, qui sont aussi deux réserves : la nécessité d’user de cet objet et l’effacement de l’énonciateur (le filmeur et ce avec quoi il filme). Si ces problèmes restent posées pour ce qui suivra de cette forme de production cinématographique, dans le cas de Sepideh Farsi, le lieu et son positionnement invalident ces problèmes éthiques ; on a affaire à une nécessité et à un regard, donc à du cinéma. La réalisatrice tire en l’occurrence le meilleur parti de son appareil, de sa souplesse ; elle fait preuve de réactivité et obtient une grande spontanéité de ses interlocuteurs. Si l’image est parfois saccadée, le son étonne par sa netteté et sa richesse. Aussi, le montage organise quelques jolis moments, comme des percées poétiques, enjouant sur la correspondance entre des motifs et des couleurs. Certaines images sont ici volées, celles des militaires, des policiers ; la prise de vue des uniformes et des bâtiments officiels étant formellement interdite en Iran. Ces images sont les plus dangereuses, les plus désobéissantes, mais ce ne sont pas les plus intéressantes. Les plus dissidentes sont finalement celles où la captation du réel est consentie. L’appareil aimante, tel un medium par le biais duquel on témoigne, il sert de réceptacle à une parole dont on sait qu’elle va « sortir » d’Iran, du moins l’espère-t-on. On pense notamment à ce surdiplômé aux airs de manutentionnaire pris dans le trafic avec sa vieille bagnole. Il harangue Sepideh Farsi en hurlant qu’il « n’en peut plus ». Beaucoup d’Iraniens sont des êtres humiliés par la République Islamique : socialement, économiquement, idéologiquement et politiquement. Certains vivent dans ce qui s’apparente à un territoire occupé par les élites religieuses transformées en une sorte de mafia politico-financière. Cette parole est cependant parfois autre chose qu’un cri de colère, on note à plusieurs reprises, dans cette langue belle et douce qu’est le farsi, de vrais talents de conteurs, sur un ton mélancolique teinté d’une ironie à la fois vacharde et désabusée. Dans le cas de l’Iran et d’autres régimes liberticides, le téléphone portable fait office de nouvel espace de liberté, certes relatif, dans lequel on stocke de l’interdit (musique, vidéos et photographies irrévérencieuses du Guide Suprême ou du président, scènes de danse…). Il est venu s’ajouter à d’autres sas de l’ère pré-numérique : le domicile, l’automobile (pensons simplement à Ten d’Abbas Kiarostami) et aussi, dans une moindre mesure, le local commercial. La première qualité de Téhéran sans autorisation est de rendre compte de cela avec limpidité et simplicité : ces espaces privés comme lieux d’une libre expression confiante contre un espace public où l’on négocie, dialogue avec le pouvoir au moyen de transgressions extrêmement codifiées, souvent minuscules. C’est notamment le cas pour les femmes, avec la grammaire du port du voile (allant du tchador à un tissu tenant miraculeusement en équilibre sur l’arrière du crâne), le maquillage, l’épilation, quand ce n’est pas la chirurgie esthétique qui transforme certains visages en des êtres défigurés, presque mutants. Comme le documentaire A People in the Shadows de Bani Khoshnoudi, autre beau portrait de Téhéran, sans aucun doute plus abouti cinématographiquement, vu au dernier Festival du Réel, tout l’intérêt réside ici dans la capacité à faire entrer la contradiction dans l’image. L’Iran, Téhéran plus encore, présente sans doute une dessociétés les plus étirées au monde, traversées par des dynamiques et des aspirations radicalement opposées. Ainsi on passe ici du dedans au dehors, de la queue d’un repas votif à une exposition dans un musée d’art contemporain, de l’ouverture sur le monde (les – faux – parfums français, la bande-annonce du dernier James Bond) à la fermeture du pays (tracasseries kafkaïenne pour obtenir des visas vers l’étranger), d’un espace public contrôlé et craint à une fête débridée dans un appartement. Sous une forme de montage-collage, Téhéran sans autorisation se remplit de ces tensions alors que la campagne électorale (les législatives de 2008) commence à résonner dans l’espace public ; on croit entendre le grondement se profiler, avant l’explosion. »
Sepideh Farsi est une réalisatrice née en 1965 à Téhéran. Arrivée à Paris en 1984 pour des études de mathématiques, elle bifurque et devient photographe, elle réalise des courts-métragesde fiction, puis plusieurs documentaires dont Homi D. Sethna, filmmaker, plusieurs fois primé, Harat et Téhéran sans autorisation, tous deux sélectionnés au festival de Locarno. Elle réalise des longs-métrages Le Voyage de Maryam (2002), Rêves de Sable (2003), Le Regard (2005), puis La Maison sous l'eau (2010) et Red Rose (2015).
RED ROSE France, Grèce, Iran, 2014, 1h26
Réalisatrice : Sepideh Farsi / Scénaristes : Javad Djavahery, Sepideh Farsi Sur une idée originale de Javad Djavahery / Avec Mina Kavani Sara Vassilis Koukalani Ali Shabnam Tolouei Simine Babak Farahani Agent Immobilier Javad Djavahery M. Amini Rezvan Zandieh Mehri Shirin Maanian Mme Amini /Musique originale : Ibrahim Maalouf / Produit par : Ciné-Sud Promotion / Co-produit par : Rêves d’Eau/ Productions, Pan Entertainment, Cosmodigital, Mactari / Producteur : Thierry Lenouvel Coproducteurs: Sepideh Farsi, Panos Karabinis / Producteur éxécutif : Panos Karabinis / Directeur de laphotographie : Pantelis Mantzanas / Montage : Bonita Papastathi / Ingénieur du son : Vangelis Zelkas /Montage son : Aris Louziotis, Alexandros Sidiropoulos / Costumes: Danai Elefsinioti, Mayou TrikeriotiTéhéran sans autorisation (Tehran bedoune mojavez) France, Iran, 2009Réalisation: Sepideh Farsi Image: Sepideh Farsi Montage: Sepideh Farsi /Producteur(s): Javad Djavahery /Production: Rêves d’Eau Productions / Chanson d’ouverture : Hichkas. Chanson finale : Cyrus Mafia /Durée: 1h24