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Jean-Christophe Averty

ubu_webPour introduire le cycle 'Pataphysique
Brian Reffin Smith invite Jean-Christophe Averty qui présentera son film Ubu Roi - 1h45, 1965, n&b. 

Jean-Christophe Averty est un homme de radio et de télévision français, né à Paris le 6 août 1928.
Nombre de ses productions pour la télévision, à partir des années 1960, en font un précurseur de l'art vidéo en France. De telles recherches seront reprises, dans les décennies suivantes, par les groupes de recherche de l'Institut national de l'audiovisuel.

UBU ROI
La mise en scène et la réalisation pour la télévision de Ubu Roi ou Les Polonais sont le premier hommage rendu par Jean-Christophe Averty à l'écrivain Alfred Jarry (1832-1907). Par cette création électronique le réalisateur affirme l'inscription de son parcours dans la pataphysique, la "science des solutions imaginaires", qu'Alfred Jarry fait naître dans Ubu Roi. Jean-Christophe Averty créera du même auteur : Ubu enchaîné (1971), Ubu Cocu ou l'Archéoptérix (1981) et Le Surmâle (1980).

Jean-Christophe Averty crée un espace théâtral spécifique au petit écran. Rompant avec le théâtre filmé, il construit la mise en scène par la technique du kinescope utilisée de 1954 au milieu des années 60. Le statut de l'espace théâtral et celui des acteurs sont transformés par une dé-réalisation. Les moyens de la vidéo lui permettent d'aller plus loin que les symbolistes et Jarry lui-même qui avaient ouvert la voie à cette conception.

Ubu Roi ou Les Polonais est une pièce loufoque, qui parodie les grandes oeuvres théâtrales. Elle met en scène un personnage symbolique de l'avidité et du pouvoir. Doté, par l'iconographie d'Alfred Jarry, d'une spirale ombilicale sur son corps sphérique, Ubu Roi représente en lui-même une dynamique du monde. L'action se passe en Pologne. Le père Ubu, ancien roi d'Aragon, est capitaine des Dragons. Il a la confiance du roi Vanceslas. Sa femme, insatisfaite de cette position, le pousse vers la prise du pouvoir. Il va donc s'emparer du trône après avoir assassiné le roi et les nobles, puis n'étant pas rassasié il envisage de tuer le tzar à Moscou. Mais le jeune prince Bougrelas, fils de Vanceslas, qui a  tout d'abord fui, reconquiert Varsovie…

Le théâtre de Jean-Christophe Averty comporte deux dimensions fondamentales : d'une part, la création d'un théâtre électronique spécifique et, d'autre part, l'humour et la dérision créés par des processus qui produisent un écart dans la représentation ou la présentation d'une réalité (représentation littérale d'une idée, transformation minimale d'un mot ou d'une situation, détournement, décontextualisation et recontextualisation…). Des jeux qui participent à la fois de l'écriture d'Alfred Jarry (dans la conception générale de la pièce et dans la singularité de son langage : "merdre", "oneille"...), de la pataphysique et du surréalisme, dont Jean-Christophe Averty revendique la filiation.

La création de ce nouvel espace théâtral est réalisée en plusieurs étapes de travail : le story board, la mise en scène dans le studio, la citation iconographique et la création d’images par collage, dessin et kinescopage.

Jean-Christophe Averty représente le roi Ubu par le dessin d'Alfred Jarry publié dans la première édition de la pièce, au Mercure de France en 1896. Ubu porte sur son gros ventre une spirale et sur sa tête en forme de poire une cagoule. Ses sourcils et sa moustache sont des accents circonflexes. Dans l'adaptation électronique, son spectre ou "bâton à physique" prend successivement les formes d'un balais à toilette, d'une cuillère en bois et d'une clé de mécanicien, qui tournent en dérision les prétentions de l'homme de pouvoir et ses justifications. La mère Ubu a pour toute féminité une robe longue qui se substitue au corps et un maquillage fort dans le style des années 60.

Le jeu des acteurs est circonscrit par une gestuelle mesurée d'où l'émotion est absente. Les sentiments sont rendus dans une forme expressionniste. Ce travail théâtral est filmé par la caméra dans un studio blanc, où interviennent de rares décors. Quelques accessoires et bruitages inattendus (une bicyclette, par exemple) poussent la représentation jusqu'au délire. Trois pots de chambre apparaissent dans la scène de la collecte des impôts : le trône sur lequel Ubu Roi est assis, un autre au sol, le troisième qui recueille les pièces de monnaie. Le souffle de l'effort lié à la défécation est associé à la scène. Il signale l'indigestion d'Ubu qui fait suite à ses excès royaux et connote le personnage et ses actes.

La technique vidéo utilisée est le kinescope, que Max Debrenne présente ainsi : "Pour Ubu Roi (21/9/65) on n'a pas utilisé de magnétoscope. Chaque plan a été composé en direct. En une seule prise. […] On enregistrait le plan dans sa version définitive. Je devais avoir cinq caméras. C'était un exploit." Au sujet des liserés il ajoute : "C'étaient des bandes, des caches ou des cadres placés devant les caméras. Ceux qui étaient mobiles, c'étaient des truqueurs […] l'un faisait des volets blancs et l'autre des volets noirs […] plus la régie dont l'installation normale comprenait déjà un mélangeur équipé de deux truqueurs."1

Un à cinq plans apparaissent simultanément dans un même écran, selon un storyboard défini à l'avance, et sont refilmés par une caméra de cinéma. L'espace dans lequel chaque sujet a été saisi (point de vue de la caméra, cadrage) reste perceptible, mais l'ensemble est unifié par le fond noir de l'écran. La hiérarchie spatiale met le personnage agissant au premier plan, soit seul à l'écran, soit avec le symbole de ses intentions et la réalité de ses actions au second plan. Ainsi les rapports de domination changeant dans le couple sont traduits par un jeu d'échelle : alternativement l'un des personnages est exagérément plus grand que l'autre dans le même plan. Les sentiments sont représentés par le point de vue de la caméra, le cadrage, le mixage des plans dans l'écran, et le son. Ainsi, ridiculisé par la mère Ubu, le père Ubu se retrouve en plan moyen au centre de l'écran, alors que sa femme, en plan éloigné, apparaît, ricanant, dans les quatre coins.

Les cadres et les liserés insèrent des éléments graphiques dans l'organisation de l'image, auxquels s'ajoute l'incrustation de dessins, de linogravures et de collages. Les Ubu attendent pour dîner le capitaine Bordure : dans le même écran apparaissent quatre éléments. La mère Ubu, debout et de profil, les coudes sur les hanches, s'adresse à son époux, dont elle est séparée par le long rectangle blanc, vertical dans l'écran, qui représente la table mise. Le visage en gros plan du père Ubu, qui se gave de volaille, apparaît dans un cadre blanc. L'esquisse d'une fenêtre est au-dessus de lui.

Certains éléments graphiques sont animés. Ainsi la spirale, symbole de la cruauté d'Ubu, se transforme en cible, puis en bouclier, ou encore, mise en rotation et associée à des sons délirants, est placée comme une césure ironique en l'attente des conséquences de l'action d'Ubu.

Le nouvel espace théâtral ainsi créé est émancipé des lois terrestres (dimension humaine, gravité, architecture, paysage). L'organisation spatiale des plans dans l'écran signifie le point de vue de la pièce (ironie de cette condition humaine et des rapports de pouvoir). L'acteur n'est plus le médiateur central de la pièce. La mise en scène s'est déplacée du plateau à l'image en mouvement recomposée.

Dans ce théâtre électronique Jean-Christophe Averty trouve un espace de création qui lui permet d'étendre les procédés humoristiques et les procédés de représentation électronique, qu'il a utilisés de façon moins radicale dans les divertissements (Les raisins verts au début des années 60) et les émissions de variétés.

Dans le contexte de la création vidéo Jean-Christophe Averty préfigure un espace électronique, autonome ou dé-réalisé, qui sera développé en vidéo et en image de synthèse par des artistes plasticiens comme Ed Emschwiller, Peter Campus, Pierre Trividic ou Marc Caro.

Thérèse Beyler


1 Anne-Marie Duguet, Jean-Christophe Averty, Paris, éd. Dis Voir, 1991, p. 78.

 

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