Karim Rafi
Durant la seconde partie du XIXe siècle et jusqu'au milieu du XXe siècle l'Europe prise de fièvre impérialiste déborde de ses frontières et se déploie à travers le monde. Ce mouvement expansionniste a comme principe idéologique le colonialisme, une doctrine qui justifie la mise sous tutelle et la domination politique, culturelle, religieuse et économique des peuples non-européens et l'exploitation de leur terre. Ce mouvement impérialiste et colonial s'appuie sur une doctrine juridique élaborée à l'époque des grandes découvertes (XVe siècle - XVIe siècle) qui légitime l'occupation de territoires dits sans maître ou non- constitués sous forme d'État comme mode légal d'acquisition.
Je suis pour l'aristocratie, pour le gouvernement des meilleurs [...]
J'ai vu qu'il y avait des écoles où allaient les enfants de telles classes, d'autres écoles où allaient des enfants d'autres milieux et qui ne se mélangeaient pas [...] J'ai respecté tout cela, à la fois parce que cette soumission au fait fortifiait ma propre politique et parce que mes propres convictions m'en montraient la légitimité et la noblesse [...]
Maréchal Lyautey, 1925
En développant un corpus pseudo-scientifique les sciences et les arts participent à la fondation du mythe de la supériorité raciale de l'homme européen sur le reste de l'humanité, taillant ainsi au colonialisme son beau costume humaniste fait sur mesure pour davantage autoriser sa barbarie, celle appelée "grande mission civilisatrice".
"Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs,
pour profiter des ressources de toute nature de ces pays,
les mettre en valeur dans l'intérêt national, et en même temps apporter aux peuplades primitives qui en sont privées les avantages
de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et industrielle, apanage des races supérieures."
Merignhac, Précis de législation et d'économie coloniales, 1882
Qu'en est-il aujourd'hui du projet colonial ? Est-il vraiment mort avec la décolonisation ? Ou le rêve de domination territoriale a-t-il mué en hégémonie culturelle ? Et dans ce cas comment ce manifeste-t-elle ? Comment les sciences coloniales ont influencé la construction des identités nationales et de quelle manière participent-elles toujours de la pérennité de l'idée d'une supposée supériorité du monde occidental ? Comment se créent les élites des ex-nations colonisées et quelles relations entretiennent-elles avec l’héritage culturel laissé par la colonisation ? Comment l'ex-colonisé perçoit-il les modes de représentations dont il était l'objet ?... Qu'en est-il de ces représentations ? Comment l'art interroge, questionne ou cautionne le colonialisme ?
Exemple de projet :
Choses masses & colonies
Ou la grande triade, colonisateur _ colonisé _ auto-colon
Je me pose souvent cette question, celle de la réalité concrète des rapports entre ex-colonisateurs et ex-colonisés ? Autrefois et maintenant... je tente de répondre à cette question en me servant de tous types de documents, de rapports et de données. De ce fait, lois, archives, cartes, chartes, traités et autres statistiques constituent le matériau que j'emploie dans mes propositions comme dans le projet Choses masses et colonies. Choses masses et colonies est un projet sylleptique, où l'enquête comme méthode esquisse le portrait d'un monde fait d'associations ambiguës, contradictoires et amphibologiques. A travers ce projet, je tente d'élaborer un dispositif... quelque chose d'irrésolu, de suspendu, perplexe... et en invitant le public à manipuler ce matériau, je lui propose d'échafauder son histoire son récit exclusif.
Karim Rafi, artiste.
Né en 1975, vit et travaille à Casablanca et autres lieux.