Conférence Nicolas de Ribou
dans le cadre du projet curatorial de La Box 2016-2017
Une proposition curatoriale de Nicolas de Ribou composée de trois volets d'exposition d’œuvres issues de la Collection Famille Servais, de rencontres et d'un espace de recherche réalisé en collaboration avec Fabrice Sabatier (.CORP) et Dieudonné Cartier.
Une légende date la fondation de l’empire du Mwene Mutapa dès la première moitié du XVe siècle par un prince du Zimbabwe, envoyé au nord du royaume pour y chercher de nouvelles mines de sel. Il aurait fait la conquête de ces terres en bordure de l’océan Indien, situées entre la Limpopo au sud et le Zambèze au nord, occupant de hauts plateaux à plus de 1000 mètres d’altitude, pour s’y établir sous le titre de Mwene Mutapa (le seigneur des mines), nom que porte également son empire. Le commerce de l’ivoire, du cuivre et de l’or avec les Arabes, les Hindous et les Indonésiens permet l’enrichissement de la region commencé quelques siècles auparavant comme le révèle Ibn Battuta en 1331 lors de sa visite des ports de Kilwa et Sofala, villes de marchands arabes qui deviendront ensuite comptoirs portugais. Les basses terres insalubres et les difficultés de navigation fluviale protègent pendant de nombreuses années le Mwene Mutapa et ses mines de la convoitise des colons de toutes origines, jusqu’à son déclin. Le Mwene Mutapa reste malgré tout objet de curiosité de la part des explorateurs, qui croient que les vestiges de pierre que les indigènes évoquent sont ceux du légendaire pays d’Ophir, d’où le roi Salomon tirait son or et ses trésors. Des fouilles archéologiques ont par ailleurs révélé la présence aux côtés d’objets africains en cuivre, or et ivoire, un certain nombre d’ustensiles et d’œuvres d’art importés (perles indiennes, fragments de porcelaine chinoise, faïence persane et verre syrien), ainsi que des soieries et des cotonnades des Indes et d’Asie orientale.Le marché de l’art contemporain a ses classiques, ses destinations, lieux de rendez-vous connus de tous, qu’il s’agisse de foires annuelles (Basel, Miami, Londres, New York, Paris, etc), de ventes selon les saisons (Sothebys, Christies et consorts) ou bien encore d’évènements chroniques (Biennale de Venise, Dokumenta Kassel, Skulptur Project Munster, etc.). Là s’échange à des sommes astronomiques la production d’une minorité de créateurs occidentaux qu’une frange d’acheteurs également occidentaux s’arrache au sein d’une bulle financière rassurante. Cependant, de nouvelles dynamiques s’affirment dernièrement en révélant de nouvelles scènes émergentes, le Brésil et la Chine en tête, se répercutant sur leurs voisins : Mexique, Argentine, Colombie d’un côté, Japon, Indonésie, Inde, Singapour de l’autre, sans oublier également le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. La création et le développement d’initiatives aussi bien marchandes que culturelles (foires, biennales, fondation, etc) dans ces régions redessinent la carte des mouvements migratoires d’une espèce loin d’être en voie de disparition, le collectionneur. Tandis que ceux des scènes émergentes achètent majoritairement des artistes locaux, les autres partent en explorateur pour découvrir, apprécier et ramener les spécimens qui complèteront leur trésor, et attiseront la curiosité de leurs semblables. Pendant longtemps, les œuvres d’art issues de ces pays entraient exclusivement dans des collections ethnographiques comme productions naturelles de leurs régions. Par la suite, la volonté d’étudier ces pièces pour leur propre langage plastique, d’en apprécier et d’en dégager le langage formel s’est fait jour. Quel(s) regard(s) portons-nous aujourd’hui sur les productions actuelles de ces territoires ? Qui sont leur(s) créateur(s) ? Quelles en sont leur(s) esthétique(s) ? Que nous enseignent-elles ? Quelle(s) motivation(s) à notre enthousiasme et à celui de ces collectionneurs globe-trotteurs ? Serait-ce le mauvais écho de notre passé colonial, ou bien une tentative d’ouverture à l’Autre ? Car l’exotisme n’est-il pas, comme le dit Victor Segalen, tout ce qui est Autre. Jouir de lui est apprendre à déguster le divers.Cette recherche prendra comme objet la Collection Famille Servais. Conseiller financier indépendant et collectionneur averti, Alain Servais partage dans un loft de trois étages à Bruxelles, sa collection de quelques centaines d’œuvres d’art contemporain acquises lors des vingt dernières années. Chaque année, il parcourt le monde axant désormais ses déplacements vers de nouveaux horizons. Dans sa collection, on trouve une orientation non occidentale, en réaction aux évolutions du monde. Selon lui, l’Occident s’enlise dans son confort en ignorant le reste du monde. « L’art occidental est actuellement un art de confort, il est devenu un produit de luxe, privé de sens ou d’objectif réel. Un jour, une connaissance habitant São Paulo m’a expliqué que l’art brésilien était d’une grande puissance parce qu’il représentait le paroxysme des tensions internes du pays. Je pense que l’art le plus fort est le fruit de tensions. En Occident, nous tentons de les supprimer artificiellement.»