Pelouse interdite
Camille Cathudal & David Supper Magnou
Troisième exposition du cycle de L'inquiétante enfanceté1 à la Transversale, Pelouse interdite de Camille Cathudal et David Supper Magnou prolonge ce regard porté par les artistes sur les puissantes ambivalences de la perception du monde de l'enfance par les adultes.
Imaginée comme une expérience initiatique, ouverte et ludique, cette exposition aborde l'enfance non comme un thème ou un sujet d'étude à déconstruire, mais comme un espace de projection des archétypes généralement associés aux imaginaires de l'enfance et confrontés aux représentations et codifications dominantes de la société des adultes, que Camille Cathudal et David Supper Magnou nous invitent donc à traverser.
Avec Pelouse interdite, l'exploration du temps de l'enfance et de l'innocence est l'occasion de mettre en scène des représentations ludiques et transgressives vis-à-vis des principes de réalité, injonctions et oppressions qui encadrent et jugulent le développement des possibles, la réalisation des rêves, comme la construction des individus, des identités et des genres, dans un territoire clos où les imaginaires, les désirs, les pulsions, autant que les hontes et les peurs, sont expulsés.
Le théâtre de l'enfance est présenté ici comme une salle de jeux : l'endroit idéal pour interroger les impossibilités physiques et matérielles, les déterminations sexuelles, les normes et les codes — et leur transgression. L'exposition orchestre donc ces rapports de forces — bien qu'aucune figure de l'autorité n'y soit représentée — dans le contre- espace2 imaginatif de l'enfance.
Il s'agit alors, pour le spectateur, de retrouver la situation d'étrangeté éprouvée, enfant, face au langage de l'injonction, du plausible ou, au contraire, de l'interdit. La façon dont la découverte qu'il fait du monde à travers le jeu et l'imaginaire achoppe, non face à une impossibilité, mais à une incompréhension et à un refus d'une vision inhibée de l'âge adulte.
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1. après Tatacombe de Marie Hendriks (05 décembre 2018 - 25 janvier 2019) qui convoquait à travers une scénographie narrative et une forte dramaturgie de l'exposition, la mémoire, le regard fantasmé et les angoisses enfantines sur la vieillesse et la mort, et In honored Dust de Delphine Vaute (06 mars - 05 avril 2019), qui transcrit dans son œuvre graphique et picturale la puissance émotionnelle et l'évocation féérique de l'enfance autour des représentations de corps indéfinis confrontés à celui de l'animalité, de leur potentiel de transformation et d'hybridation, comme du régime obscur de l'imaginaire et de la face sombre et parfois cruelle qui animent aussi l'enfance.
2. Il y a les régions de passage, les rues, les trains, les métros ; il y a les régions ouvertes de la halte transitoire, les cafés, les cinémas, les plages, les hôtels, et puis il y a les régions fermées du repos et du chez-soi. Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents : des lieux qui s'opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier. Ce sont en quelque sorte des contre-espaces. Ces contre-espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement. Bien sûr, c'est le fond du jardin, bien sûr, c'est le grenier, ou mieux encore la tente d'Indiens dressée au milieu du grenier, ou encore, c'est — le jeudi
après-midi — le grand lit des parents. C'est sur ce grand lit qu'un découvre l'océan, puisqu'on peut y nager entre les couvertures ; et puis ce grand lit, c'est aussi le ciel, puisqu'on peut rebondir sur les ressorts ; c'est la forêt, puisqu'on s'y cache ; c'est la nuit, puisqu'on y devient fantôme entre les draps ; c'est le plaisir, enfin, puisque, à la rentrée des parents, on va être puni.