" They can’t live without it. We can. "
Exposition
Les Ghost Dresses font partie d’une série de sculptures débutée en 2011. Les robes y sont des supports d’inscription et d’accrochage, des formes sculpturales molles non-incarnées. Aucun substitut de corps ne remplit leurs volumes. La série des (Californian) Ghost Dresses (2018) présentée à la Ghebaly Gallery, est ainsi un ensemble de sculptures en tissus suspendues à un support utilisé d’ordinaire dans les studios photo afin d’accrocher un fond. Ici, l’objet est à la fois un système d’accrochage et une version surdimensionnée du portant à vêtement qui pop’up et circule, puisque mobile, dans l’espace blanc de la galerie. Les robes, en apparence disponibles, prêtes à être revêtues et possiblement incarnées, ont été conceptualisées en Californie et produites à Paris. Elles sont au sujet des poses et des discours préfabriqués, de leur formulation dans le réel, qui modèlent les comportements individuels et sculptent les groupes. Leur origine est rétinienne. C’est pourquoi j’aimerais proposer la notion de blink pour parler de ce travail.
Blink c’est à la fois le coup d’œil, le clin d’œil et le battement de paupière qui m’apparaissent être l’un des modes de vision expérimenté par l’artiste pour attraper les phénomènes sociaux et médiatiques contemporains qui circulent, transformés en images, dans les rues et sur les écrans. Ces images attrapées et disponibles, prêtes à être endossées, ornent les formes vides (dans le sens d’inhabitées) des sculptures de la série californienne. Blink est la manière dont je vois Ingrid Luche regarder les phénomènes sociaux qui circulent sur les réseaux (statements et postures), à la télévision (news en continu), au cinéma (héroïsme de papier mâché) et dans la ville (brands et magasins spécialisés). Il s’agit dans son cas d’un système de regard marginal porté sur les détails d’un monde à vendre et d’un merchandising idéologique en constante reformulation.
La série est construite à partir d’un corpus d’objets et d’images collectées par l’artiste durant ses déplacements en Californie : un pavillon en flamme (vu à la télé), un mural à l’effigie d’Arnold Schwarzenegger (remarqué dans la rue), des écouteurs jetables (reçus dans l’avion), une photographie d’un tirage de canyon désertique de Richard Prince (monumental, vu au LACMA), une capture d’écran d’une vidéo de Nasim Najafi Aghdam, bodybuildeuse et militante species qui a attaqué les bureaux de la plateforme Youtube, avant de sa donner la mort, en raison d’une modification de leur politique de rétribution des chaines (elle revendiquait 15000 followers et contestait son déclassement). Le pavillon en flammes, Nasim Aghdam, Schwarzenegger comme les déserts de Prince deviennent des motifs all-over imprimés sur tissus ; les écouteurs ou les lunettes de soleil récupérés ici et là sont des matériaux source assemblés en réseaux de signes et de texture pour orner, tels des bijoux, les images mentionnées. Les images et les objets sont pliés, ouverts, transformés. L’image de Prince est une grande jupe plissée démesurée, ceinturée de chaînettes et de goodies; la maison en feu, retournée, est un motif décoratif déréalisé, Schwarzenegger un châle. Les transferts et les déplacements, de signes et de formes, sont d’autant plus surprenants qu’ils marchent sur le modèle contrarié du désir individuel (formulé, travaillé, soumis) et de l’attente (toujours en sursis et dépendante d’une institution médiatique elle-même désincarnée). L’utilisation récurrente de simili-cuir, 100% Spandex, est à l’image de cette relation-projection instable et déséquilibrée.
Ingrid Luche m’a expliqué s’intéresser aux questions de production dans l’art comme dans la société. « Les modèles de vie actuels sont paradoxaux dit-elle. Je m’intéresse à l’ambivalence et aux territoires sociologiques qui nourrissent ces modèles. Ils produisent à la fois de la fascination et son contraire à l’image d’un véganisme basé sur le tout jetable. Et on vérifie cela dans l’attitude, dans les modes de vie. Nasim Aghdam est un exemple archi puissant de ce type d’autodestruction par le réseau social. »
Marie Canet, novembre 2018
Avec le soutien à une Recherche/production artistique du Centre national des arts plastiques, France
Avec le soutien d’une Nouvelle aide à la présence d’un artiste français dans une galerie étrangère du CPGA-DGCA (Air de Paris, Paris en partenariat avec la Ghebaly Gallery, Los Angeles)