Didier Mencoboni

La peinture de Didier Mencoboni est principalement fondée sur un vocabulaire formel basique ; elle se constitue au fur à mesure de son développement autour d’un ensemble de petites toiles, sorte de journal peint, intitulée «…Etc… ». Cet ensemble engendre plusieurs modes de présentation : empilements de toiles, présentation sur des étagères, dessins d’expositions virtuelles, soies colorées suspendues, autant de formes d’apparitions qui pose plus la question Que faire de cette peinture ? que celle du Quoi peindre ? C'est entre gestes et attitudes que l’œuvre se constitue, passant d’une forme de méta peinture à une peinture incarnée. Il expose régulièrement depuis le début des années quatre-vingt en France mais aussi en Europe et aux États-Unis. Ses œuvres sont largement entrées dans les collections publiques françaises. Il est représenté par la galerie Eric Dupont à Paris. À l’école, il dirige le studio-peinture et accompagne de nombreux projets d’étudiants de formes et de médium divers dans l’ARC Le bras du pantographe.

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vendredi 04 octobre 2019
dimanche 26 janvier 2020

Cheongju Museum of Art

Sillage, sillages

French Contemporary Abstraction Exhibition

En français, le mot « sillage » désigne une trace : celle que laisse derrière lui un bateau. Par extension, on dit couramment de quelqu’un qu’il se place « dans le sillage » d’un autre – en particulier quand un écart temporel existe entre les deux individus et que l’un d’eux peut se dire inspiré par l’autre. Ce sillage peut être intellectuel, littéraire ou artistique : un écrivain ou un artiste écrit non pas à la suite d’un autre mais en écho, en gardant à l’esprit ce qu’un prédécesseur aura produit antérieurement. Ce qu’on nomme couramment « influence » en art déborde très largement cette notion de « sillage » : tout artiste crée en fonction de ce qui l’a précédé, qu’il s’en écarte ou qu’il se place justement dans une sorte de continuité ou de filiation. Quand deux artistes d’une même génération vont dans le même sens, on ne dira pas que l’un se place dans le sillage de l’autre – on dit par exemple de Picasso et de Braque qu’ils ont formé une « cordée », comme des alpinistes, lorsque ensemble ils inventèrent le cubisme au début du XX e siècle. Cette exposition exclut d’emblée l’idée d’une supériorité ou d’une antériorité de certains artistes par rapport aux autres. Elle indique cependant qu’une force motrice s’exerce, à un moment donné : lorsque, en parlant avec Soo-Kyoung Lee, je commençai il y a longtemps à réfléchir aux liens qui unissent des peintres ayant en commun un certain moyen d’expression – que nous nommerons « abstrait » faute d’un terme plus adéquat. Si, pour certains d’entre eux, ils se sont rapprochés et se voient de loin en loin, il faut rechercher quel est leur dénominateur commun : un élément plus précis que le simple refus de la figuration constitue, à l’évidence, la trame ou le fil conducteur qu’il nous faudra suivre. La force décisive pour ce projet fut bien évidemment exercée par le musée d’art de Cheongju lorsqu’il décida d’organiser l’exposition, ce dont tous les artistes et moi-même lui sommes extraordinairement reconnaissants. Il fallait en effet accepter de nous suivre là où nous guidaient notre propre intuition et la perception que nous avions les uns des autres. Connaître le travail d’un artiste est chose complexe. Nous pouvons naturellement – et souvent nous le faisons – isoler quelques éléments pour décrire son travail et établir des rapprochements. Ainsi, voyons Bernard Joubert : les sources de son œuvre sont à rechercher dans le contexte parisien des années 1970, au moment où le primat de la peinture, qu’elle soit figurative ou abstraite, commençait à céder le pas face aux expériences du Minimal Art et du Conceptual Art américains – ceci constitue un point de contact avec Bruno Rousselot, pour qui la rencontre avec Sol LeWitt a été déterminante, lequel est précisément l’un des grands représentants de cette orientation de l’art américain postérieure à l’Abstract Expressionism de Jackson Pollock, Mark Rothko ou Barnett Newman... Pour Bernard Joubert, ce fut l’artiste roumain André Cadere, venu en France à la fin des années 1960, avec qui s’établirent un dialogue et une complicité artistique intense. On pourrait dire de ces artistes qu’ils se placèrent l’un et l’autre dans le sillage de LeWitt ou de Cadere – mais ce que nous voudrions suggérer ici, c’est que, dans le temps où ils produirent à proximité de l’un ou de l’autre – où ils furent donc contemporains –, s’établit un rapprochement et une complémentarité qui implique toujours une forme d’interaction – car aucun artiste ne produit en vase clos, a fortiori lorsque existe une relation particulière, de quelque nature qu’elle soit. Il n’y avait donc pas à proprement parler de guide (sauf lorsque l’un demandait à l’autre de travailler pour lui) ; chacun suivait sa direction propre – mais comme deux bateaux qui font route commune, avec l’immensité de la mer autour. Un grand artiste français qui devint après la guerre l’une des principales figures de ce que l’on nomme « l’École de Paris », Roger Bissière, dit que c’est son fils qui l’inspira et qui lui donna l’orientation nouvelle qu’il allait entreprendre, alors qu’il avait renoncé à peindre. Pour mieux définir les « sillages » parallèles que dessinent à la surface de leurs supports respectifs les artistes réunis en Corée, nous pourrions avancer que beaucoup d’entre eux recourent aux lignes – et la parenté avec l’image que le mot sillage imprime dans notre esprit s’exprime précisément là : une ligne, allant d’un point à un autre. C’est le cas de Maëlle Labussière, d’Annie Paule Thorel, de Didier Mencoboni (pour une part de son travail), de Hye-Sook Yoo (pour une part également), ainsi que de Soo-Kyoung Lee et d’Olivier Michel, avec des formes sinueuses et non rectilignes ; ou, d’une autre façon encore, de

Philippe Compagnon et d’Olivier Filippi. Chez Sylvie Turpin, ce sont plutôt des forces concentriques qui s’exercent, avec ses découpes de toile – mais, lorsqu’elle place un élément qui sort du mur (car il lui faut toujours une troisième dimension), alors se déploie autour et dans sa suite cette ligne qui nous ramène au fameux sillage…
Prenons Christophe Cuzin ; chez lui, la dimension conceptuelle demeure toujours présente, ce qui le rapproche des artistes cités au début de ce texte. Il peut partir d’une forme préexistante – un mur, avec sa découpe, ses fenêtres, etc. – et en produire un décalque, une forme peinte qui se détache de la première : elle arrive en superposition ou s’inscrit sur le mur avec un léger décalage. Il y a successivité – comme entre le bateau et la forme qui est l’effet, l’ombre ou le signe de son mouvement. Chez Jean-Marc Thommen, c’est le signe qui l’emporte – et, comme pour Soo-Kyoung Lee ou Pascal Pesez, la lecture du poète Henri Michaux eut sur lui une profonde influence – Michaux, qui fut l’un des rares Français à avoir sillonné l’Asie dans les années 1930, d’où il tira une pratique personnelle de la peinture à l’encre ainsi que le livre Idéogrammes en Chine… Visuellement, et indépendamment de cette filiation avouée, leurs travaux empruntent des voies très différentes : les lignes chez Jean-Marc Thommen sont isolées, mais se rapprochent et se croisent. Le croisement, le chevauchement dominent chez Soo-Kyoung Lee – et les aplats monochromes qu’on pourrait dire « de fond » rapprochent en revanche sa peinture de celle de Bruno Rousselot, de
Christophe Cuzin, voire d’Olivier Filippi. Quant à Pascal Pesez, quand il forme des lignes, celles-ci ont une capacité plus grande à divaguer– la matière y est présente, plus que chez tous les autres et, en ce sens, il s’écarte de la voie et du sillage « conceptuels », demeurant plus près de la filiation de l’abstraction lyrique (autre nom qui servit à désigner les peintres abstraits de l’École de Paris). On comprendra néanmoins que, dans chacune de ces notions, nous devons faire la part d’une approximation inévitable. Conceptuels, tous ces travaux le sont probablement de quelque manière. Citons-en quelques-uns pour mieux faire voir l’idée que l’on tente de cerner : c’est le cas d’Olivier Filippi dans son rapport à la partition musicale et dans la façon dont la réalisation est toujours précédée par une maquette, suivant une conception précise et par étapes ; c’est aussi le cas d’Élodie Boutry, par son agencement complexe de formes qui nécessitent un plan préétabli ; ou celui de Bruno Rousselot et de Bernard Joubert, comme nous l’avons vu déjà, mais aussi celui d’Annie Paule Thorel : agencement de non-répétitions et de variantes complexes, proches des ondes sonores. C’est le cas de Maëlle Labussière dans sa recherche d’une structure, d’une grille et d’un rythme, et de Sylvie Turpin parce qu’elle part des contraintes physiques du support et de leur développement interne (les tensions qui se créent dans la toile sans châssis) et revient à chaque fois au principe constructif rendant compte de ce développement même. Hye-Sook Yoo se tient à mi-chemin entre une peinture représentative (lorsqu’on croit discerner une perspective) et l’absolu monochrome… Philippe Compagnon, enfin, fait du principe constructif l’élément discriminant, son travail s’inscrivant dans un axe qui semble fixe et dont la rigidité même permet l’ouverture à l’infini. Or, ceci est précisément la contradiction qu’André Cadere a explorée au cours de sa courte vie dans les années 1960 et 1970 : transformer l’organisation principielle en liberté – et cela peut être dit de tous les artistes de Sillages. Au-delà des catégories, des tentatives de définition provisoire, nous devons admettre que la ligne de partage stricte n’existe pas (comme cette « ligne de partage des eaux »  qui est une abstraction créée par la géographie) et que la justification finale du projet réside dans l’exposition elle-même, chaque visiteur étant appelé à en vérifier ou non la cohérence, et d’en accepter ou non les significations possibles. L’histoire de l’abstraction est multiple. Le mot a été souvent contourné, certains lui préférant d’autres expressions. Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que tous les artistes, ici, lui accordent le même sens ni qu’ils entendent se placer dans ce sillage-là : si tous sont réunis à Cheongju c’est que tous ont un lien, sous-jacent ou évident, et tout autant une non-parenté : tous sont simplement eux-mêmes ; mais ils ont accepté de faire le voyage et de jouer le jeu.

François Michaud, 30 août 2019

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