Jean-Michel Sanejouand
Les Organisations d’espaces
de Jean-Michel Sanejouand : 1967-1974
Commissariat : Frédéric Herbin
Exposition du 28 novembre au 21 décembre 2013
Vernissage le jeudi 28 novembre à 18h
Ouvert du mardi au samedi de 14h à 18h
fermé dimanches et jours fériés
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L’œuvre de Jean-Michel Sanejouand commence seulement à recevoir la reconnaissance qu’il mérite. Récemment célébré par les Pays de Loire, on tente enfin, du côté des États-Unis, de le réinscrire dans des histoires renouvelées du Land Art (exposition Ends of the Earth : Land Art to 1974, Los Angeles, MoCA) ou de l’art conceptuel ; dans la dernière version du manuel de Mansfield et Arnason, History of Modern Art(1), l’artiste apparaît désormais aux côtés de Marcel Broodthaers et de Daniel Buren. L’exposition organisée à La Box vient donner une nouvelle impulsion à cette dynamique de redécouverte et de réévaluation du travail de l’artiste : dix ans après sa réactivation dans l’espace du Transpalette, la pratique des Organisations d’espaces est remise à l’honneur.
L’exposition met en lumière le rôle précurseur de Jean-Michel Sanejouand dans la naissance des pratiques in situ et le rejet d’un modernisme qui érige la forme ainsi que l’autonomie de l’art en dogmes. En effet, dès 1967, plutôt que de continuer à produire des objets esthétiques qui se suffisent en eux-mêmes, l’artiste démarre, à la suite de ses Charges-objets, un travail d’intervention sur l’espace, conçu en fonction du lieu qui l’accueille. Lançant le slogan « L’art est mort, vive l’art, l’art de vivre ! »(2), il rejette la traditionnelle fonction représentative de l’art et imagine fondre sa pratique dans le quotidien en intervenant dans des programmes architecturaux ou urbanistiques. Oscillant alors entre fonctionnalisme et utopie, Jean-Michel Sanejouand dessine les contours d’une nouvelle pratique qui mettrait fin à l’aliénation du citadin ou du spectateur – rebaptisé « participant » (3) à cette occasion.
Cette période historique des Organisations d’espaces, qui s’étend jusqu’au projet délibérément irréalisable – puisqu’il repose sur la suppression de la propriété du sol – du Schéma d’organisation de la vallée de la Seine entre Paris et Le Havre, est incontournable, non seulement dans l’œuvre de l’artiste, mais également dans le paysage artistique français, voire international. Les interventions que Jean-Michel Sanejouand réalise à l’aide d’objets et de matériaux industriels, à des « dimensions encore jamais vues pour une œuvre d’art européenne » (4), marquent les esprits et son travail connaît alors une reconnaissance toute particulière. Il expose chez le jeune galeriste Yvon Lambert et est soutenu par l’un des critiques européens les plus influents : Pierre Restany. Ces interventions apparaissent, pour la critique, comme un contrepoint au minimalisme américain. Mais, malgré leur impact certain, les occasions de réalisation in situ sont peu nombreuses et cette situation amène l’artiste à développer ses idées sous forme de plans très précis. En pleine vogue de l’art conceptuel, ces derniers sont exposés à la Kunsthalle de Bern (exposition Pläne und Projekte als Kunst, 1969), au Museum of Modern Art (Information, 1970) et au Guggenheim Museum (Amsterdam Paris Düsseldorf, 1972). Finalement, l’exposition du Schéma d’organisation de la vallée de la Seine sera l’occasion d’une rétrospective des Organisations d’espaces montrée au Centre National d’Art Contemporain (1973) et à l’Internationaal Cultureel Centrum d’Anvers (1974). À l’occasion de cet événement, qui sonne comme une consécration, des grands panneaux sont composés par l’artiste pour documenter chaque Organisation d’espace, réalisée ou non. Entrés dans les collections du CNAP, ils constituent, encore aujourd’hui, la principale trace des Organisations d’espaces.
Basée sur les recherches menées par le commissaire, sur la naissance des pratiques in situ et de la critique institutionnelle en France (5), l’exposition de La Box témoigne de cette période riche et pourtant trop souvent négligée par l’historiographie. En produisant des archives inédites de l’artiste, elle permet de suivre au plus près la construction de l’œuvre. Une première salle est ainsi consacrée à l’évolution des Charges-objets vers des interventions de grandes dimensions, puis à la prise en compte des espaces dans lesquels ils s’inscrivent. La suite de l’exposition s’intéresse aux Organisations d’espaces en tant que telles, en s’attachant à rendre les différentes dimensions que revêt ce travail et à relever le défi de témoigner d’œuvres qui, pour celles qui ont été réalisées, n’ont existé que le temps de leur monstration. Le travail graphique développé avec les Organisations d’espaces est donc mis en avant. Un croquis préparatoire de 1968 est présenté pour la première fois et les panneaux du CNAP sont confrontés à des plans plus anciens, qui n’ont pas été montrés depuis les années 1970.
La dimension proprement spatiale des Organisation d’espaces et la façon dont elles sont perçues, dans le champ de l’art mais également au-delà, sont aussi des données importantes de l’exposition. Par exemple, l’Organisation de l’espace n°2, avril 1968, Galerie Yvon Lambert (Paris), est accueillie dans un espace aux exactes dimensions de cette intervention, pour permettre au spectateur d’appréhender l’effet qu’elle provoquait. De la même façon, une place conséquente est faite à la réception des Organisations d’espaces à travers la presse, afin de multiplier les témoignages et les points de vue sur celles-ci. Ce parti pris trouve sont aboutissement dans le choix de ne pas exposer le Schéma d’organisation de la vallée de la Seine, mais de montrer son retentissement qui, des revues Développement industriel et scientifique à Elle, montre à quel point l’œuvre de Jean-Michel Sanejouand est entrée en résonance avec les questionnements de l’époque.
1 Pearson, 2012.
2 Jean-Michel Sanejouand, Introduction aux espaces concrets, Paris, Éditions Mathias Fels, 1970, p. 7.
3 Idem, p. 13.
4 Robert Fleck, « Histoire d’une subversion », dans Fabrice Hergott (éd.), Jean-Michel Sanejouand : Rétrospective 1963-1995, cat. d’expo (Paris, Centre Georges Pompidou, 28 juin – 25 septembre 1995), Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1995, p. 13.
5 Voir notamment : « Le refus de l’art : aux origines des pratiques in situ en France », dans Christian Gutleben et Michel Remy (éd.), Le Refus : esthétique, littérature, société, musique, revue Cycnos, Volume 28, N° 1, 2012, p. 83-92
Pour plus d'informations :
Sur l'artiste:
http://www.sanejouand.com
Sur le commissaire :
http://intru.hypotheses.org/les-chercheurs-2/doctorants/frederic-herbin